L’Allemagne construit la plus grande autoroute cyclable du monde
2 février 2017 / Renate van der Zee (LaRevueDurable)
Alors que l’Allemagne réalise la plus grande autoroute cyclable au monde, la Norvège y pense et le Danemark et les Pays-Bas en sont déjà dotés. La densité de l’habitat, l’engorgement des routes et la popularité du vélo électrique attirent de plus en plus de personnes vers ce mode de transport à longue distance.
En 2010, lorsque l’autoroute entre les villes allemandes de Duisburg et de Dortmund a été ponctuellement fermée à l’occasion d’un projet culturel, trois millions de personnes en ont profité pour y marcher, faire du skate et du vélo. Pour un jour seulement, elle s’est transformée en un gigantesque boulevard.
Le planificateur Martin Tönnes saisit ce jour-là l’occasion de rouler à bicyclette d’Essen à Dortmund. « Il y avait tellement de monde que, pour la première fois de ma vie, j’ai fait l’expérience d’un embouteillage de vélos, raconte-t-il. Cela fut aussi le moment où nous nous sommes mis à réfléchir à la construction d’une autoroute cyclable dans la Ruhr. Cette masse de cyclistes sur l’autoroute nous a fait comprendre qu’il y avait une réelle demande. »
Cinq ans plus tard, en décembre 2015, la première Radschnellweg (« voie rapide cyclable ») est inaugurée en Allemagne, entre les villes de Mülheim an der Ruhr et Essen, en Rhénanie-du-Nord–Westphalie. C’est le premier tronçon de ce qui est appelé à devenir la plus grande autoroute cyclable au monde : longue de 100 kilomètres, elle reliera à terme dix villes et quatre universités.
Totalement séparée des voitures, confortablement large de quatre mètres et équipée de ponts et de tunnels
Une fois complété, le réseau devrait retirer quelque 50.000 voitures de la circulation avec, selon l’association régionale de la Ruhr, où Tönnes dirige la planification, une baisse annuelle associée de 16.000 tonnes de CO2.
Cette nouvelle autoroute cyclable est très différente des bandes étroites et peintes dont les cyclistes doivent se contenter dans les villes allemandes, qui ne les mettent pas à l’abri de possibles collisions avec les véhicules motorisés. Elle est au contraire totalement séparée des voitures, confortablement large de quatre mètres et équipée de ponts et de tunnels pour éviter les intersections. Elle est entièrement éclairée, la neige y sera dégagée l’hiver et est flanquée d’un chemin pédestre parallèle.
Avec le succès grandissant du vélo électrique, les autoroutes cyclables pourraient donner le jour à une nouvelle ère de déplacement à vélo pour aller au travail en Allemagne. Dans la Ruhr, la distance entre villes va de dix à seize kilomètres, ce qui rend cette région industrielle idéale pour aller au travail à vélo, estime Tönnes.
« Environ 1,6 million de personnes vivent à moins de 1,25 kilomètre de l’autoroute cyclable, dans un bassin de vie qui inclut 150.000 étudiants et 430.000 emplois. Je ne suis donc pas le moins du monde inquiet pour ce qui est de la demande. Cette autoroute cyclable convaincra beaucoup de gens d’aller au travail à vélo. Avec les vélos électriques, ce choix est encore plus simple et rapide. »
« Nous pensons que la bicyclette est la réponse aux problèmes d’embouteillage et d’environnement »
En matière d’ambitieuses constructions d’autoroutes cyclables, les Danois et les Néerlandais sont les grands pionniers. Tandis que les supercykelstiers danois se concentrent dans et autour de Copenhague, les Pays-Bas se vantent d’héberger un réseau d’environ vingt fietssnelwegen dans le pays.
Les Pays-Bas ont commencé à construire des autoroutes cyclables en 2006 pour lutter contre les embouteillages. Les premiers tronçons ont été construits le long des autoroutes encombrées pour offrir une alternative visible aux conducteurs frustrés. « Le terme “autoroute cyclable” paraît très pompeux, c’est pourquoi on préfère parler de “connexion cyclable rapide” », observe Ineke Spapé, planificatrice spécialiste du trafic et professeure de mobilité cyclable à l’université des sciences appliquées de Breda, dans le Brabant-Septentrional.
De nombreuses grandes villes allemandes telles que Francfort, Hambourg, Berlin, Munich et Nuremberg étudient les possibilités de construire des Radschnellwege dans leurs banlieues et villes avoisinantes. « Notre population grandit vite, ce qui signifie que le trafic va croître et mettra les transports publics sous pression, dit Birgit Kastrup, de l’association de planification du Grand Munich. Nous devons réfléchir à des solutions intelligentes à ce problème », conclut-elle.
Munich réfléchit à la construction d’une autoroute cyclable dans sa banlieue nord de Garching et Unterschleissheim. « Nous pensons que la bicyclette est la réponse aux problèmes d’embouteillage et d’environnement, dit Kastrup. Les autoroutes cyclables sont aussi un moyen de promouvoir des modes de vie plus sains. »
L’autoroute cyclable de la Ruhr reviendrait à 183,7 millions d’euros
Reste à résoudre le financement. Les autoroutes cyclables ne sont pas bon marché, avec des coûts de 500.000 à 2 millions d’euros le kilomètre. Au total, on s’attend à ce que l’autoroute cyclable de la Ruhr revienne à 183,7 millions d’euros.
Alors que le gouvernement central néerlandais soutient financièrement la construction de ses autoroutes cyclables, en Allemagne, les infrastructures pour bicyclettes sont de la seule responsabilité des exécutifs municipaux et des Länder. Le ministre allemand des Transports, Alexander Donbrindt, est très clair : les villes qui veulent construire des autoroutes cyclables n’ont rien à attendre de lui.
« Il est très critiqué pour son manque de vision, relève Tönnes. Par chance, le gouvernement fédéral [de Rhénanie-du-Nord–Westphalie] comprend l’importance des autoroutes cyclables et modifie la loi en conséquence pour pouvoir financer le projet dans son entier. »
Les autres Länder ne sont pas tous aussi généreux, ce qui signifie que les villes telles que Munich tâtonnent toujours dans le noir pour pouvoir financer leur premier projet. « Il sera intéressant de voir ce qui sortira des discussions, remarque Kastrup. Mais il n’y a aucun doute sur le fait que la volonté politique est là. Je suis donc confiante que nous trouverons les fonds nécessaires. »
Proposer des idées innovantes
À Berlin, qui se bat avec une énorme dette, l’idée circule de financer les autoroutes cyclables par des publicités le long de la piste. Cette proposition contraste fortement avec l’annonce du gouvernement norvégien qui planifie d’investir 700 millions d’euros dans les autoroutes cyclables dans et autour de neuf des plus grandes villes du pays. Ces super-sykkelveier sont considérées comme un moyen important de combattre les émissions de CO2 — une étape remarquable pour un pays montagneux aux hivers longs et très froids, où le vélo n’est pas aussi répandu que dans d’autres États scandinaves.
Pendant ce temps, les Pays-Bas étudient trente nouveaux projets, dont une autoroute cyclable de trente kilomètres qui reliera les villes du nord d’Assen et de Groningen. Pour l’initiateur de ce projet, le politicien Henk Brink, une autoroute cyclable ne suffit pas : « Nous voulons offrir une expérience exceptionnelle à ceux qui utiliseront cette autoroute. »
On a demandé à cinq bureaux différents de proposer des idées innovantes. Il y a des plans de travaux artistiques le long des autoroutes qui changent avec les conditions météorologiques, d’une autoroute multifonctionnelle où l’on peut s’entraîner à toutes sortes de sports en dehors des heures de pointe, sans parler d’une autoroute avec des points d’accès au wifi et la possibilité de charger son vélo électrique. Il y a aussi un plan d’autoroute avec canopée qui protège les cyclistes de la pluie et une autre qui stoppe les vents grâce à des écrans qui pivotent selon leur orientation.
« Ce ne sont que des idées, nous ne savons pas ce que nous déciderons au bout du compte, dit Brink. Mais nous pensons que si l’on veut que les gens se mettent à se déplacer à vélo pour aller au travail, il faut être sûr qu’ils y prendront du plaisir. »